Aller au contenu
Accueil » Actualités  » Mais où va l’esport ?

Mais où va l’esport ?

Des budgets en augmentation constante sans rentabilité, des équipes, des joueurs et des influenceurs prêts à tout pour se faire remarquer ; des éditeurs qui licencient en masse et qui bafouent leurs valeurs pour trouver des financements. Ces récents événements me font questionner l’avenir du monde de l’esport. Bien que d’une nature optimiste, je pense qu’il est temps de commencer à s’inquiéter.

Pourquoi cette inquiétude ? Parce que la communauté détient un pouvoir considérable. Les spectateurs ont la capacité de provoquer le changement. Nous, consommateurs d’esports, détenons les clés, mais nous ne nous en rendons pas toujours compte et souvent, nous ne nous posons pas les bonnes questions.

Est-il acceptable qu’un ambassadeur d’une équipe expose son intimité en direct, et que cette équipe traite l’incident à la légère sans prendre de mesures concrètes ?

Est-il normal que vos équipes favorites troquent leur indépendance et leurs valeurs dans cette quête effrénée de succès ?

Trouvez-vous normal que vos éditeurs favoris, ayant connu des croissances extraordinaires grâce à l’esport, soient aujourd’hui forcés de renoncer à leurs principes pour que le secteur survive ?

Ces questions ne sont pas purement rhétoriques. Il se peut que certaines pratiques soient devenues la norme, tandis que d’autres résultent d’une réaction en chaîne.

Nous allons donc explorer ces questions dans cet article : Où va l’e-sport ?

Les salaires des joueurs et les dépenses liées aux équipes : une bulle financière qui va exploser ? 

Commençons avec les équipes et les joueurs. Les budgets des clubs sont en constante augmentation, ce qui semble être une bonne nouvelle. En principe, si les coûts des équipes et les salaires des joueurs augmentent, c’est le signe que les clubs prospèrent et que le marché est en croissance. Toutefois, cette réalité n’est pas applicable à l’esport.

Pour vous donner une idée, Zywoo de Team Vitality a récemment signé un contrat le classant parmi les sportifs français les mieux rémunérés, hors football.

Cela signifie un salaire mensuel de plus de 100 000€ ! Et, contre toute attente, c’est une nouvelle positive pour l’esport. Si un athlète esportif français est mieux payé que certains joueurs de rugby ou de handball, cela indique une évolution positive. (Source)

Cependant, le problème réside dans le fait que Vitality, l’équipe employant Zywoo, n’est pas encore rentable. Mais ne nous y trompons pas, le problème n’est pas la rentabilité en soi. De nombreuses entreprises, notamment les start-up, fonctionnent en anticipant une rentabilité future.

Vitality, en prenant de telles décisions, est conscient de ses actions. Elle mise sur le devenir pérenne de son modèle grâce à des succès internationaux et des superstars comme Zywoo.

Cependant, lorsque l’on n’est pas rentable, on finance ces contrats et projets via des levées de fonds, ce qui, au-delà de la dilution de la propriété et de l’autorité, stimule la surenchère des salaires. Si les équipes dépensaient selon leur budget réel, sans levées de fonds, les salaires ne s’envoleraient pas aussi rapidement. Quand une équipe offre un tel salaire à un joueur, elle oblige les concurrents à suivre pour rester compétitifs, déclenchant ainsi une escalade des enchères.

Ce mécanisme repose sur les prévisions de revenus futurs de l’esport. Le point positif est qu’il contribue à maintenir la croissance du marché. Le côté négatif, c’est que le moindre imprévu pourrait tout faire basculer.

Riot Games a commencé à instaurer un Salary Cap (j’avais abordé le sujet ici) pour endiguer cette surenchère et assurer une concurrence équitable dans sa ligue, afin de maintenir l’intérêt des spectateurs.

Malgré tout, l’esport possède une ressource précieuse qui permet de continuer sa progression spectaculaire : l’influence.

L’influence plus important et puissant que l’argent 

De nos jours, l’influence devient plus importante que l’argent, ou du moins, elle génère des revenus significatifs. Je ne parle pas simplement de budgets marketing où une marque achèterait du sponsoring pour gagner en notoriété. Je fais référence à des investissements massifs visant à modifier en profondeur l’image ou les atouts de puissances mondiales.

Prenons un exemple hors esport, mais très illustratif : le football professionnel français. Sans entrer dans les détails historiques, il faut savoir que depuis quelques années la plupart des clubs professionnels français perdent de l’argent de manière structurelle. Ils ne basculent dans le vert que grâce à la vente de joueurs, principalement vers le championnat anglais. Cette situation entraîne des conséquences néfastes : les clubs sont forcés de vendre leurs meilleurs éléments et d’acheter moins cher pour survivre. La Ligue perd ainsi ses meilleurs joueurs, réduit son attractivité et, par conséquent, ses audiences, ce qui mène à une diminution des revenus liés aux droits médias, aggravant la situation financière des clubs.

Et qui vient au secours du football français ? Le Qatar, notamment par l’intermédiaire de Bein Sports, pour éviter la crise imminente dans le football professionnel français.

Et le lien avec l’esport ? Il est évident. Quand un pays réalise que la plupart des clubs influents sont déficitaires et qu’un marché est en déclin, il intervient en sauveur. Je parle ici de l’Arabie Saoudite.

Je ne critique pas ces investissements ni les acteurs qui collaborent avec ce pays. Je suis même personnellement enthousiasmé par ces développements, bien qu’ils soulèvent d’importantes questions.

Pour un aperçu détaillé de comment l’Arabie Saoudite investit dans l’esport et s’apprête à devenir la capitale mondiale de ce secteur, je vous renvoie à ma vidéo sur le sujet. En résumé, le pays prévoit d’organiser la coupe du monde d’esport avec un cashprize inédit et de créer un programme d’aide pour les clubs participants à ses compétitions.

Mais revenons à l’importance de l’influence. Les organisations esportives ont bien compris que leur influence est un atout majeur, non seulement pour développer leurs revenus de sponsoring mais également dans une perspective stratégique plus large. Aujourd’hui, la plupart des grandes structures sont fondées sur le modèle de l’influence, à l’instar de Faze Clan aux États-Unis, Loud au Brésil ou Karmine Corp en France.

Vitality, qui mise aujourd’hui sur la performance, a également réussi grâce à une stratégie fondée sur l’influence. Je ne dis pas que Vitality n’est plus influent, au contraire, leur influence n’a jamais été aussi forte. Mais ils veulent désormais que cette influence soit portée par leurs joueurs et non par des influenceurs extérieurs. On remarque aussi que la stratégie de Karmine Corp vise à passer d’un modèle basé sur l’influence à un modèle de performance, afin d’assurer cette pérennité.

Des clubs qui font tout pour se faire remarquer 

Être adoré par des fans et suivi par des milliers de personnes est un rêve pour beaucoup dans l’écosystème de l’esport. À l’ère de la viralité et des réseaux sociaux, des équipes, des joueurs et des ambassadeurs sont prêts à tout pour attirer l’attention.

Bien que certaines structures ne soient pas originellement créées par des influenceurs, plusieurs clubs ont commencé à former leurs propres équipes d’ambassadeurs ou de streamers. Par exemple, Vitality a eu, pendant un temps, des streamers ambassadeurs de la marque et avait même lancé un projet de Web TV il y a quelques années.

Récemment, un incident a poussé les limites de l’attention :

… Le streamer Jean Pormanove, ambassadeur de la Team Monaco Esport a montré son pénis en live. J’ai envie de dire à la rigueur, vous vous dites sûrement que le club a immédiatement réagi en licenciant le concerné. Absolument pas .. Le lendemain conférence de presse en mode rigolade complète en montrant que le club ne prenait pas du tout la situation au sérieux. 

Et pour couronner le tout, voici le clip de l’un des protagonistes qui s’exprime sur l’affaire : 

Plus tôt dans l’année, une autre affaire avait ébranlé l’esport français : un contrat divulgué concernant un joueur amateur, je vous montre :


Ce contrat a été rédigé par un club pour un joueur amateur. Cela a permis de mettre en évidence une pratique déjà illégale mais complètement dénuée de sens, pratiquée par beaucoup de clubs amateurs : salarier des joueurs amateurs. Mais Bruno, comment c’est possible s’ils sont salariés, ils ne sont pas amateurs ? Attends, je t’explique. Vous vous rappelez du mécanisme de renchérissement des salaires. Il s’est passé exactement la même chose à plus petite échelle dans l’esport amateur.

Le schéma est le suivant : des jeunes montent leur club dans l’espoir de devenir le prochain Vitality, comprenant que l’influence est cruciale, ils recrutent des joueurs non professionnels mais influents, principalement sur Twitter. Ces joueurs ne souhaitant pas représenter des équipes obscures, donc les clubs proposent des « salaires » via des virements PayPal de 20 à 200 € par mois, une pratique illégale. Pour information, cela peut mener à une requalification en contrat de travail, exposant les responsables à des sanctions légales. Pourquoi ces jeunes font ça ? Bah parce que chef ça va ramener des sponsors .. Mais oui bien sûr. 

Cette pratique déstabilise le marché amateur. En tant que manager chez Helios Gaming, je reçois quotidiennement des demandes de joueurs souhaitant être rémunérés, influencés par une expérience passée. Cela fausse la perception de l’esport par la nouvelle génération.

Heureusement, cela ne concerne pas tous les joueurs ni tous les clubs, mais le problème persiste. Souvent, ces clubs disparaissent rapidement une fois que les ressources du fondateur s’épuisent et qu’il se rend compte qu’il n’aura jamais de sponsor.

Comment pouvons-nous continuer à légitimer l’esport avec de tels acteurs ?

Un dernier avertissement pour éviter tout malentendu : les jeunes doivent être encouragés à entreprendre et à innover. Mais il est crucial de le faire dans le respect des lois, en se renseignant sur la légalité et en cherchant des moyens de financement viables pour construire un projet durable.

Riot Games qui ouvre son partenariat à de nouvelles entreprises 

Enfin, on a parlé des joueurs, des clubs, des staffs, des organisateurs de compétitions, passons aux derniers maillons de la chaîne : les éditeurs. Je parlerai en particulier d’un éditeur : Riot Games. Souvent adulé par les fans d’esport, l’éditeur a su faire de l’esport une priorité contrairement à tous ses concurrents et il l’a très bien fait !

Comme mentionné, l’éditeur est attentif aux besoins de l’écosystème et a notamment introduit un plafond salarial pour éviter une inflation des salaires des joueurs, dans le but de préserver la compétitivité au sein de sa ligue.

Récemment, Riot Games a annoncé prévoir d’importants changements pour le business model des ligues LOL, dans le but d’avoir des revenus plus prévisibles pour les clubs esports visant à maintenir leur santé. Cela signifie que l’esport de LoL peut générer suffisamment de revenus pour couvrir les coûts de Riot, de leurs équipes professionnelles et d’autres parties prenantes investissant dans l’écosystème tout en fournissant une carrière durable aux meilleurs joueurs pour concourir professionnellement, porté en partie par des audiences exceptionnelles.

L’objectif est de diversifier les sources de revenus de la ligue pour mieux redistribuer aux clubs, afin de réduire la dépendance aux revenus sponsorisés. Un pot commun, basé sur la compétitivité et la popularité des clubs, sera mis en place. La vente de skins aux couleurs des équipes est également prévue. De bonnes nouvelles pour l’esport, d’autant plus que ces décisions pourraient être motivées par l’émergence de concurrents en Arabie Saoudite, poussant certains clubs à envisager de quitter les ligues Riot, historiquement prioritaires.

Après, il faut aussi se rappeler que les clubs se sont trouvés dans cette situation de leur propre fait, en étant dans une surenchère constante. Encore une fois, on ne va pas se plaindre car c’est ce qui permet aujourd’hui d’avoir autant d’esport partout !

Et même si on pourrait considérer Riot comme les boss, une récente rumeur pourrait me faire changer d’avis. Selon Esports Advocate, l’éditeur aurait commencé à considérer comme possibles des partenariats pour ses ligues et les clubs avec des marques de CBD, d’alcool (bières et vins) et d’entités gouvernementales. C’est vrai que dans d’autres pays cela peut ne pas choquer. En Espagne, le football était sponsorisé par des marques de bières. En France, on préfère les paris sportifs.

Bref, si cette rumeur venait à s’avérer vraie, cela pourrait être un nouveau coup dur pour l’image de l’esport. Pour rappel, France Esport, l’association en charge de la structuration de l’esport en France, a dans sa charte : “Plus largement, les adhérents à l’Association s’engagent à ne pas promouvoir auprès des publics mineurs les contenus dont l’accès leur est interdit : tabac, alcool, pornographie, jeux d’argent… “

Et figurez-vous que Riot Games fait partie de France Esports. Comment l’entité va réagir ? Riot va-t-il interdire l’accès au visionnage de ces ligues pour les moins de 18 ans ? Cela m’étonnerait. On ne va pas faire plus de supposition et nous verrons dans les prochains mois les annonces de l’éditeur.

Pour conclure …

Les mauvaises pratiques observées dans l’esport propagent des comportements inappropriés, entravant le développement positif de ce domaine. Comme mentionné précédemment, l’esport devrait encourager de bonnes pratiques et servir de moyen efficace pour le développement des jeunes. Cependant, les comportements décrits dans cet article favorisent une critique facile de la part des institutions et contredisent les valeurs que l’esport est censé promouvoir.

L’image problématique qui s’est attachée à l’esport pendant de nombreuses années risque de ressurgir à cause de telles décisions, mettant en péril la crédibilité de cette discipline.

Toutefois, l’esport restera porté par des mastodontes qui ont l’avenir devant eux.

La solution ? Le développement de l’esport amateur !

Comme dans le monde du football, les pratiquants dans l’amateur sont encadrés et bénéficient des bonnes pratiques, également diffusées par le monde professionnel, mais pas toujours…

Dans l’esport, on a commencé par l’esport tout court, qui était par définition amateur dans les années 2000, puis les acteurs se sont consacrés à développer le haut niveau. Mais les événements dédiés aux amateurs ne sont pas au niveau, que ce soit en termes d’installation, de contenu ou de but.

C’est justement mon projet avec Helios Gaming, où nous avons pour mission de développer l’esport amateur en France. Mais ça, je t’en parlerai plus en détails dans un prochain article.

De votre côté, qu’avez-vous pensé de ces agissements ? Est-ce que cela vous choque ? J’ai vu sur Twitter que certaines personnes défendaient les acteurs, même celui ayant montré son intimité, qu’en pensez-vous ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *