Décembre 2022, Gotaga, Squeezie et BrokyBrawks lancent un live pour annoncer la création de leur structure, Gentlemates. Après des mois de rumeurs autour de l’équipe SBG, qui reprenait les initiales des créateurs, les fans ont enfin l’annonce qu’ils attendaient : Le French Monster est de retour dans l’esport avec une annonce de taille.
Surnommée « la luxueuse » et portée par deux piliers de l’influence du jeu vidéo en France, Gentlemates s’est imposée depuis comme une référence en France et commence à se faire une très belle place sur la scène continentale et internationale.
Mais le public est sceptique. Le club ne fait pas l’unanimité auprès des fans d’esports avec une communication jugée plate lors des compétitions, des choix discutables et des clips de réaction de leur live qui sont moqués sur TikTok et Instagram…
Alors, d’où naissent ces critiques ? Est-ce que Gentlemates, la luxueuse, ne serait pas si luxuriante que cela ?
Les fondateurs et le staff ont commis trois erreurs stratégiques majeures qui ont provoqué ces réactions :
1. La Direction Artistique
La Direction Artistique ! Remettons-nous dans le contexte, nous sommes en décembre 2022, et voici les logos des équipes dominantes :
Et là, on nous dévoile GentleMates avec ce logo. À ce moment, n’importe quel communicant du monde de l’esport se dit que cela va être une galère à intégrer dans les overlays des streams de tournois. C’est peu reconnaissable, le logo se résume au nom et il ne sera pas lisible. Une faute de débutant.
Toutefois, c’est un parti pris. C’est d’ailleurs sûrement plus souhaitable d’avoir pris une décision qui divise plutôt que de faire un logo fade qui n’aurait pas généré de réaction. Mais ce n’est pas le plus choquant. Regardez cet extrait du live à ce sujet :
Je ne suis pas expert en communication non verbale. Mais là, c’est fort quand même. On comprend très bien qui a réussi à imposer ses décisions. Et ce n’est pas l’expert de l’esport qui a tranché. Parfois, il est intéressant d’amener des influences d’un autre domaine pour pouvoir être disruptif. Cependant, il faut toujours respecter les bases, les codes, et là, c’est raté.
L’une des séquences qui marque, et par la suite, est lorsque Gotaga annonce qu’en fonction des réactions de la communauté, ils pourront changer de DA. Alors déjà, on sait très bien que c’est faux. Refaire toute la production de merch, refaire toutes les annonces, bref, refaire toute une marque, c’est très long. Mais cet aveu tend à rassurer car on comprend que le French Monster n’est à ce moment toujours pas convaincu par la DA de l’équipe.
Le passage du stream va nous amener à la deuxième erreur stratégique majeure :
2- Le storytelling et la passion
Je ne l’ai pas précisé auparavant, mais Squeezie est au centre. C’est lui qui mène la conversation, révélant qu’il a pris les rênes. Cependant, la création de Gentlemates est avant tout le projet de Brawks et Gotaga, un projet en gestation depuis des années, en attente de la fin d’une clause de non-concurrence imposée par Vitality. C’est lors d’une discussion en vacances que Squeezie s’est joint au projet.
Mais à voir cette annonce, on pourrait croire que c’est le projet de Squeezie, qui aurait rallié Gotaga et Brawks à sa cause pour gagner en légitimité dans l’esport.
C’est un point crucial car nous parlons du French Monster, le joueur français d’esport console qui a probablement initié une grande partie de ma génération à l’esport grâce à COD, et la génération suivante grâce à Fortnite.
Personnellement, c’est là que ma déception est la plus grande. Je souhaitais une structure reflétant l’identité de Gotaga et Brawks. Franchement, en entendant Squeezie parler de « faire des M8 distinguées, méga polies », on se demande s’il est vraiment au fait du passé de Gotaga et Brawks.
Après une victoire qualificative pour les Worlds, Gotaga a tweeté ceci :
Si vous êtes un ancien comme moi, vous savez que c’est le storytelling entre joueurs qui a amené des milliers de personnes à suivre les compétitions sur COD ou Fortnite. Assister aux duels entre les Vitality de Gotaga et les Milleniums de Krnage, ou voir Kinstar affronter Nikof, on connaît l’histoire derrière chaque joueur, leur rivalité, et on sait que leur duel va enflammer les passions. Mais cette passion semble absente ici.
Je vais vous donner un autre exemple, quelque chose que vous avez sûrement déjà expérimenté. Vous regardez du contenu uniquement parce que la personne qui vous le présente est passionnée. Cela m’est arrivé, que ce soit en suivant des joueurs d’échecs, des combattants de MMA, des pros de poker, ou même des équipes de League of Legends. Au début, je ne saisissais pas tous les termes techniques ni ce qui se passait, mais la passion et l’engouement captivaient mon attention. Je suis les Worlds de LoL depuis 2016 chaque année sur OTP, sans presque jamais avoir joué au jeu. Mais la manière dont Chips, Noi et Tweaks commentent m’emporte. Et c’est pareil dans de nombreux domaines.
Comment s’attendre à être transporté ? Cette impression a également été critiquée sur les réseaux sociaux, ce côté terne ayant posé problème durant une partie du split LFL.
En vous montrant d’anciens tweets de Gotaga, vous constatez que les provocations de Gentlemates sont loin du trash-talking du French Monster. Certes, il a gagné en maturité, l’âge a son effet. Mais sérieusement, après une grande victoire, on attend des piques. C’est l’un des aspects qui rend la KC si appréciée. Le compte de Kotei en est un parfait exemple.
Tous ces éléments façonnent le storytelling de l’équipe, et vous l’aurez compris, je suis profondément déçu de la direction choisie. Je ne peux m’empêcher de me demander ce qu’aurait été ce club si Gotaga et Brawks l’avaient créé à eux deux.
Cette histoire que M8 est en train de raconter est également impactée par le troisième point :
3- Le recrutement des équipes Gentlemates
Voici les jeux sur lesquels M8 est présent :
- League of Legends
- Valorant
- Fortnite
- Rocket League
- TFT
- Age of Empires
Pour League of Legends, Valorant et Rocket League, il s’agit des meilleures audiences en esport en France, ce qui en fait des choix très logiques.
Concernant Fortnite, au vu du passé, cela semblait être une évidence !
Cependant, c’est sur TFT et Age of Empires que je souhaite m’attarder. Pour moi, c’est un grand oui. Ce sont ce type de paris qui feront l’histoire de Gentlemates. En s’aventurant sur des scènes parfois négligées par d’autres mais qui passionnent l’un des créateurs, M8 fait un choix judicieux. Peu importe si les audiences sont moindres, ces scènes ont le temps de se développer. TFT, avec son aspect visuellement attractif et le soutien de Riot Games, représente un choix indiscutable, malgré des audiences potentiellement plus faibles. Ces paris renforceront l’identité de Gentlemates, d’autant plus que les audiences sont déjà soutenues par les jeux sur lesquels M8 est déjà présent.
Mais alors, pourquoi considérer le recrutement comme une erreur stratégique ?
M8 souffre de la maladie du leader, un syndrome qui a également touché KC et Vitality. Il s’agit de la réticence à recruter sur un jeu où les chances de gagner ou de performer au plus haut niveau semblent faibles. Pourtant, toutes les sections mentionnées possèdent le potentiel de jouer au plus haut niveau mondial, à l’exception de LoL, ce qui semble évident.
Certaines scènes ont pâti de cette approche. Vitality n’a jamais investi dans SSBU, en partie parce qu’ils ne pouvaient pas recruter Glutonny. KC a tardé à investir dans une scène, optant finalement pour le recrutement d’un joueur américain sur un jeu très communautaire, alors que la scène française regorge de talents tels que Raflow. L’idée que les supporters cesseraient de suivre leur équipe en cas de défaite est un mythe, comme l’a prouvé l’équipe LEC.
Ce que les fans désirent, ce sont des histoires captivantes. Ils veulent voir leur équipe vivre une aventure épique, à la manière d’un shonen. Bien sûr, recruter les meilleurs et dominer est la voie la plus simple. Mais observer son équipe et ses joueurs surmonter des épreuves ne fera qu’embellir la victoire finale.
Alors, où est le roster Call of Duty de Gentlemates ? Oui, intégrer une franchise en Cod World League est coûteux, mais la scène française regorge de talents brillant en Challengers. Avons-nous vraiment besoin d’être une franchise dans une ligue qui se joue la nuit pour se rassembler autour d’un jeu passionnant ?
En matière de storytelling, l’impact de M8 pourrait être phénoménal. Il est également possible d’explorer davantage la diversification des revenus. Gentlemates pourrait relancer des événements amateurs pour la scène COD, ravivant ainsi la scène et revitalisant l’esport amateur COD. Cela générerait de nouveaux revenus, fidéliserait la communauté et raconterait une histoire incroyable. Cependant, une fois de plus, la préférence va à la non-prise de risque, suivant la tendance générale de financer les équipes par le sponsoring et la vente de skins.
Les points positifs chez Gentlemates
Voici les trois points que, selon moi, les équipes de Gentlemates auraient pu aborder avec plus de précision. Cependant, je tiens à prendre un moment pour souligner les aspects très positifs !
- Une stratégie cross-canal efficace :
Bien que l’équipe de communication de M8 ne semble pas spécialisée dans l’esport, elle a mis en place une stratégie cross-canal efficace, accompagnée de créations tout à fait impressionnantes.
Les vidéos d’annonce pour Valorant ou Rocket League sont véritablement magnifiques. Les fans peuvent suivre aisément l’actualité en fonction des rosters grâce à différents canaux de communication. Les affiches sont très belles. Il est essentiel de reconnaître ces réussites, et à ce titre, je tire mon chapeau à l’équipe.
- Les audiences, une nouvelle cible + Monétisation par les skins :
Malgré mes critiques précédentes à l’égard de Squeezie dans le storytelling, il est indéniable qu’il a réussi à attirer une nouvelle audience et cible pour l’esport, ce qui est extrêmement positif. Cela a permis d’élargir le public, ce qui est notable tant dans les audiences de Gentlemates que dans leurs ventes de skins. Au mois de mars, M8 a réalisé plus de ventes que KC, ce qui prouve que les résultats sportifs ne sont pas nécessairement ce qui intéresse le plus les fans.
- Les sponsors :
La notoriété de Squeezie, le numéro un des YouTubeurs français, facilite grandement l’arrivée de sponsors majeurs, permettant ainsi à des marques non endémiques de s’impliquer dans l’esport. Je pense notamment à Alpine qui, malgré des activations antérieures avec Vitality sous le nom de Renault, s’est fortement engagée dans le partenariat avec le roster Rocket League.
- La concurrence (Guerre entre les fans) et le storytelling autour des joueurs :
Le storytelling autour de l’équipe Valorant est jusqu’à présent exceptionnel, marqué par une ascension progressive depuis la ligue française jusqu’au sommet européen. Avec un roster entièrement français, incluant Wailers, un ancien joueur de COD, l’équipe doit maintenant relever le niveau. Si elle y parvient, l’enthousiasme pourrait être phénoménal !
L’histoire racontée par cette équipe est rendue possible grâce aux choix audacieux de la direction esport. Opter pour une telle stratégie n’était pas la voie la plus facile. La structure aurait pu choisir de construire une équipe autour d’un ou deux joueurs et de recruter à l’étranger. Cependant, fidèle à l’adage du French Monster qui souhaite gagner à l’international avec des joueurs français, cette mission semble guider Gentlemates pour notre plus grand plaisir.
Je reconnais que mes commentaires initiaux dans cet article peuvent avoir semblé quelque peu négatifs ou critiques, mais il est important de souligner que le bilan pour M8 est, en réalité, bien plus nuancé. J’aimerais connaître votre opinion : Que pensez-vous de l’entrée de Gentlemates sur la scène esportive ? Suivez-vous plusieurs équipes d’esports ? Avez-vous déjà changé d’allégeance et cessé de soutenir une équipe en raison de décisions qui vous ont déçu ?