Imaginez la scène, Faker remporte l’or sur League Of Legends, une équipe Counter Strike 100% française terrasse la scène internationale pour ramener une nouvelle médaille à la France. C’est hypant, n’est-ce pas ? L’esport aux Jeux Olympiques du rêve à la réalité !
Est-ce que l’esport est un sport ?
Quand on pense au sport, on évoque la sueur, l’effort physique intense, la détermination face à l’adversité. Mais que se passe-t-il lorsque ces efforts se transforment en clics, lorsque l’affrontement se digitalise ? Sommes-nous toujours en présence d’un sport ?
Cette interrogation divise, intrigue et provoque. À l’aube d’une possible inclusion de l’esport aux Jeux Olympiques, cette question demeure toujours sans réponse définitive.
Si on sort notre dictionnaire Larousse, voici ce qu’il est écrit :
“Ensemble des exercices physiques se présentant sous forme de jeux individuels ou collectifs, donnant généralement lieu à compétition, pratiqués en observant certaines règles précises.” – Source
- On retrouve bien de l’esport sous forme individuelle et collective.
- Donnant généralement lieu à des compétitions
- Pratiqué avec des règles précises.
Vous l’avez compris, le débat réside dans “l’ensemble des exercices physiques”.
Alors d’abord je me suis tourné vers les échecs qui sont considérés comme un sport. En effet, jouer aux échecs exige un effort mental et physique considérable de la part des participants. Durant les compétitions, il est observé que le pouls des joueurs se fait plus rapide, que leur respiration s’intensifie et que leur pression sanguine monte. D’après les recherches de Robert Sapolsky, un éminent professeur de l’Université de Stanford, un compétiteur d’échecs peut dépenser jusqu’à 6000 calories durant une journée de compétition, soit le triple de la consommation calorique quotidienne d’un individu moyen.
On dirait bien que l’esport coche donc toutes les cases.
N’étant pas expert, je me suis tourné également vers l’étude de Nicolas Besombes à ce sujet. En reprenant une définition précise, il est amené à pleinement intégrer l’esport au domaine du sport.
Il semblerait donc belle et bien que l’esport est un sport. Mais pourtant, il n’est toujours pas reconnu en tant que tel par les institutions. Mais est-ce que c’est vraiment important au final ? Et est-ce que pour nous fan d’esports on s’en moquerait pas mal de savoir si c’est considéré comme un sport ou non ?
Cette principale préoccupation réside du côté institutionnel. La reconnaissance de l’esport comme un sport permettrait d’avoir de nouvelles initiatives aussi bien internationales que locales beaucoup plus rapidement.
Mon point de vue sur la question ? L’esport est un sport. Mais je ne perdrai pas mon énergie à essayer de convaincre quelqu’un qu’il ne l’est pas. Par contre, je sais que le point fondamental qui bloque son institutionnalisation est l’absence de fédération.
Mais si vous êtes un lecteur assidu vous savez pourquoi l’esport ne peut avoir de fédérations comme le football par exemple. Déjà car on n’a pas une fédération des sports mais des fédérations pour chaque sport et parce que les esports appartiennent à des entreprises privées là où le sport est libre. On va en revenir plus en détails sur ce point dans l’article.
– Article lié : Business Model d’un club esport –
Bon si jamais, vous vous voulez frimer en repas de famille, ou pour contre dire quelqu’un qui pense tout savoir sur tout. Invitez-le à vous citer la définition de l’esport inscrite dans son dictionnaire Larousse (Spoiler : sport électronique).
L’esport aux JO comme épreuve olympique ?
La question de la classification de l’esport comme sport a été intensément débattue, notamment parce que pour beaucoup, reconnaître l’esport en tant que sport signifierait aussi sa possible inclusion comme épreuve olympique.
Mais pourtant ce n’est pas si simple. D’autres problématiques s’opposent aux valeurs olympiques anéantissant l’espoir d’un ajout de l’esport aux Jeux Olympiques.
Premièrement : la violence. La plupart des jeux esports majeurs sont considérés comme violents par le CIO. On peut citer Counter-Strike, Call of Duty, Battlefield, Street Fighter, mais aussi League of Legends, Dota2, ou encore Overwatch.
Deuxièmement, la structuration du sport par une fédération pose question. Le CIO critique l’absence d’une fédération d’esport unique, mais créer une telle fédération serait illogique puisqu’il n’existe pas de « fédération des sports » générale. Il y a, par exemple, des fédérations distinctes pour le football, le basketball, etc.
Imaginer une « fédération des esports » exigerait un accord entre tous les éditeurs impliqués dans l’esport, malgré leurs divergences et les fluctuations de popularité des différents jeux – une tâche quasiment impossible. On n’a pas exigé du breakdance de s’aligner avec le football. Mais on souhaitait le faire pour l’esport !
Ainsi, il semblerait approprié d’avoir une fédération distincte pour chaque discipline, suivant la structure des sports traditionnels. Cependant, un problème se pose : alors que les fédérations sportives fonctionnent comme des institutions publiques, les éditeurs de jeux vidéo, qui remplissent le rôle des fédérations (gestion des joueurs et des compétitions), sont des entités privées.
Mais pourquoi le CIO se penche enfin sur la question ?
Malgré les problématiques et interrogations existantes, l’esport s’impose de plus en plus comme un sujet crucial pour le Comité International Olympique. Mais pourquoi le CIO commence-t-il à reconsidérer sa position vis-à-vis de l’esport ?
Thierry Reboul, le maître de cérémonie d’ouverture des prochains JO 2024 à Paris, a déclaré : “On veut continuer à faire l’unanimité et faire l’unanimité ça veut dire intéresser … De toute façon tu n’as pas d’avenir si tu perds les 15-25 ans.” – Source
André Agnelli, ex-président de la Juventus et ex-président de l’association des clubs de football professionnels, a été parmi les premiers du monde du sport traditionnel à exprimer ses préoccupations. En 2019, il avait déclaré : “Les concurrents du foot sont l’e-sport et Fortnite” – “40% des 15-24 ans n’ont aucun intérêt pour le football. Nous avons besoin d’une compétition capable de s’opposer à ce qu’ils produisent sur les plateformes numériques, transformant le virtuel en réel.”
Ces observations ont conduit le Comité Olympique à comprendre l’importance de sérieusement envisager l’ajout de l’esport à son programme. Bien que les premières tentatives n’aient pas totalement conquis le public, elles méritent d’être présentées pour comprendre le contexte actuel.
Première itération : les Jeux Asiatiques de 2018, où l’esport a été introduit comme un événement de démonstration. Ce fut un premier pas, certes timide, mais significatif, puisque l’événement est organisé par le Conseil Olympique Asiatique (Olympic Council of Asia), l’une des cinq organisations continentales reconnues par le CIO. Toutefois, l’image et l’impact de l’esport en Asie sont loin d’être comparables au reste du monde. Cette édition a mis en avant les jeux Arena of Valor, Clash Royale, Hearthstone, League of Legends, Pro Evolution Soccer et StarCraft II. Faker avait d’ailleurs remporté l’argent avec la Corée du Sud, derrière la Chine ! L’esport sera ensuite ajouté comme épreuve officielle à partir de l’édition 2022.
Ensuite, les Olympic Virtual Series de 2021 ont marqué une avancée encore plus audacieuse. Pour la première fois, le CIO a pris les rênes, nouant des partenariats directs avec les éditeurs. Mais laissez-moi vous dire… La sélection des jeux pourrait expliquer pourquoi cet événement n’a pas marqué les esprits : baseball virtuel, cyclisme virtuel, aviron virtuel, voile virtuelle et automobilisme. Vous l’aurez compris : pour le CIO, l’esport se résumait aux simulations sportives. Cet événement, si vous vous en rappelez, s’est tenu juste avant les JO de Tokyo 2020, qui ont eu lieu en 2021 à cause de la pandémie. Le comité voyait peut-être en ces simulations sportives le futur du sport, où chacun reste chez soi. Eh bien, pari manqué…ce n’est pas ce que veulent les fans d’esport.
D’ailleurs, tout le monde n’a pas tourné la page ; lors de la PGW, j’ai découvert le ping-pong virtuel. No comment …
Une révolution se profilait à l’horizon avec l’annonce des Olympic Esport Series pour 2023. Cette fois, le CIO paraît réellement disposé à s’ouvrir à l’esport, laissant derrière lui la notion de sport virtuel de 2021 pour se concentrer sur le véritable esport. Mais le programme suscite encore des réticences, avec la présence uniquement de simulations sportives : Tic Tac Bow (Tir à l’arc), WBSC eBASEBALL: Power Pros (Baseball), Chess.com (Échecs), Zwift (Cyclisme), Fortnite (Tir sur cible – sans affrontement direct, rappelez-vous la règle : pas de violence), Just Dance (Danse), Gran Turismo (Automobile), Virtual Regatta (Voile), Virtual Taekwondo (Taekwondo) et Tennis Clash (Tennis).
On note tout de même de belles avancées, notamment à travers des partenariats avec des éditeurs de renom comme Epic Games ou Ubisoft. Mais, nous sommes toujours à mille lieues de l’attrait suscité par les jeux des compétitions asiatiques.
À l’aube de cette nouvelle année, les regards se tournent vers le Japon, hôte des prochains Jeux d’Asie en 2026. Des rumeurs laissent entendre qu’ils pourraient servir de tremplin pour une édition globale de l’esport.
– Article lié : Des Jeux Olympiques Esport en 2025 ? –
De plus, selon les informations de Xinhua, Thomas Bach, Président du CIO, aurait mis en avant la dualité des sports virtuels : d’une part, des disciplines intégrant une composante physique et, d’autre part, des jeux électroniques populaires reflétant les valeurs olympiques. Il envisage la création d’un programme combinant intérêt des fans et adhésion aux valeurs olympiques. Lors d’un entretien accordé à Xinhua Sports, Bach a indiqué que ces jeux pourraient se dérouler « dès l’année prochaine ou, au plus tard, en 2026 ».
Et on devrait constater une adoption lors des JO de 2028 aux Etats-Unis si on s’en réfère aux propos de Thierry Reboul. Restez branchés, l’affaire est à suivre…
Le point de vue des acteurs de l’esport ?
Et alors, que pensent les acteurs de l’esport de tout cela ?
Depuis des années, le monde de l’esport attendait une reconnaissance du CIO. Une telle validation aurait accéléré son institutionnalisation, facilitant la structuration de la pratique pour ses acteurs, boostant par la même occasion l’audience, les sponsorings et l’adoption générale. L’effet d’entraînement sur sa croissance aurait été spectaculaire.
Prenons l’exemple des JO : d’importants budgets sont alloués pour promouvoir divers sports. L’esport aurait pu bénéficier de cette manne financière. Mais non, ce n’est que maintenant, dans une tentative de rajeunir l’audience des Jeux, que l’esport commence à être pris au sérieux. Et vous allez le voir, surtout si vous êtes en France : attendez-vous à ce que vos villes se mettent à organiser des événements autour de l’esport dans les semaines à venir.
Cependant, face aux nombreuses initiatives manquées du CIO et à son évident décalage avec les désirs des fans, un fossé s’est creusé entre les deux univers. Les puristes refusent de regarder, percevant l’esport comme une aberration, comme en témoignent les commentaires sous chaque article de L’Équipe Esport.
Quant aux fans d’esports, ils sont pour l’instant embarrassés de voir leurs jeux favoris comparés à de simples simulations sportives virtuelles.
Le vrai besoin, tel que perçu par les acteurs et surtout par la communauté, maintenant que l’esport a gagné en popularité, est celui d’une compétition par nations, un concept que les éditeurs n’exploitent pas actuellement ! Imaginez l’engouement d’une Coupe du Monde de football transposé à League of Legends avec un cinq 100% Français ! Une hype de zinzin !
D’ailleurs, Overwatch avait tenté le coup en 2023, cherchant à ranimer son jeu ..
Les pays qui ont reconnu l’esport, comment gère-t-il le rapport avec les éditeurs ?
Comme nous l’avons observé, les défis liés à l’esport se résolvent naturellement à mesure que sa popularité grandit. Des compromis sont trouvés avec les éditeurs, ravis de voir leurs jeux mis en lumière. On modifie les formats pour les rendre moins violents.
Si le CIO rencontre encore des obstacles, il pourrait prendre exemple sur des pays modèles tels que la Corée du Sud, où l’esport est non seulement florissant mais également soutenu par le gouvernement, en particulier par le Ministère de la Culture, des Sports et du Tourisme. Avec ses infrastructures de pointe comme les arènes dédiées, et ses programmes de formation pour les joueurs, la Corée du Sud a établi des standards élevés pour les compétitions et le bien-être des joueurs professionnels.
La collaboration entre le gouvernement et les éditeurs de jeux en Corée du Sud est exemplaire. Ils organisent des forums et des comités pour réguler ensemble l’industrie de l’esport, tout en développant des partenariats pour des événements et compétitions, veillant à ce que les jeux respectent les normes culturelles et légales du pays. Qui, parmi les éditeurs, refuserait de participer à un programme soutenu par un gouvernement ou un comité olympique aussi engagé ?
Pour terminer, je voulais moi aussi décerner une médaille d’or, je dirais même des médailles d’or à : Guy Desrosiers, Magali Dufour, Martin Juneau, Marie-Eve Mathieu, Dominick Gauthier, Jennifer Abel, Jasey Jay Anderson, Sylvie Bernier, Alexandre Bilodeau, Charlie Bilodeau, Kim Boutin, Alex Harvey, Pierre Harvey, Jennifer Heil, Mikaël Kingsbury, Marie-Hélène Prémont, Joannie Rochette, Marianne St-Gelais, Kim St-Pierre, Antoine Valois-Fortier.
Pourquoi les médaillés ? Pour cette magnifique lettre adressée au CIO demandant au Mouvement olympique de renoncer à tout projet visant l’introduction des eSports dans les Jeux Olympiques. Félicitations, ces personnes pensent qu’en n’introduisant pas l’esport aux JO, la nouvelle génération va arrêter de jouer aux jeux vidéo et se mettre à la pétanque et au Break Dance. Comme on dit chez nous, GG WP, on n’a rien pu faire.
Pour être plus sérieux, l’éducation aux bonnes pratiques est primordiale. Ajouter l’esport aux JO permettrait de diffuser massivement ces bonnes pratiques et d’éviter la sédentarité et les excès. Il est de notre devoir d’éduquer les joueurs et les parents. Le CIO pourrait donner un énorme écho positif à ce message. Mais non, 15 athlètes médaillés et 5 experts de santé supplient le Comité olympique de ne rien faire. Spoiler Alert : Si le comité ne fait rien, ce sont les JO qui vont perdre en audience, et non la sédentarité que vous allez combattre.
Merci d’avoir lu cet article ! Je vous invite à donner votre avis sur le sujet dans les commentaires !
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